Le Dimanche 30 Avril 1944 à l'aube, les P51B ''Mustang''
du 380e Squadron, 343e
Fighter Group de la
9th US Air Force décollent de
leur base de Staplehurst, près de Maidstone (Kent). Ils doivent ce jour-là accomplir une mission d'escorte
d'un ''Box'' de bombardiers B24 partis bombarder une gare de
triage près de Lyon. L'un de ces jeunes pilotes ne savait pas
que cette mission allait être pour lui, non seulement la plus
longue et la plus périlleuse de sa carrière, mais aussi la
dernière de cette campagne. Cette mission allait devenir son
histoire, une histoire qui allait bouleverser sa vie et faire
intervenir des dizaines d'humbles Normands qui l'ont aidé sans
hésiter, mesurant les risques qu'ils encouraient.
Cette histoire est celle du Sous-lieutenant Charles
Lee MOORE .
Voler avait toujours été la passion de Charlie. Son
enfance fut toute entière marquée par cette passion. Charlie
ne s'est pas contenté de construire des maquettes d'avion, il
a travaillé après ses heures de classe sur un aérodrome
voisin et été rétribué en heures de vol. Il a décroché son
premier vol sur un biplan WACO à 13 ans. A sa sortie du lycée, comme il ne pouvait devenir pilote de chasse
à cause des 2 années
d'études après le baccalauréat requises par l' Air Force, il
s'engagea dans l'Army Air Corps où il fut assigné, comme opérateur-radio,
à une unité qui convoyait vers l'Angleterre les B24 ''Liberator
30'' livrés au titre de la Loi Prêt-Bail.
L'Air Force manquant de pilotes, le niveau requis fut
abaissé à l'équivalent du Baccalauréat. Charlie put entrer
à l 'École des Cadets de l'Air avec l'ambition de devenir,
non seulement un pilote de chasse accompli, mais tout simplement
le meilleur de l'Air Force. Grâce à ses indéniables qualités
de pilote (né pour voler, aux dires de ses instructeurs tant
civils que militaires), il fut immédiatement admis. Il obtint
sa qualification de pilote de monomoteur en Août 1943. L'un de
ses instructeurs lui glissa à l'oreille lorsqu'il reçut ses
ailes que ''s'il ne se tuait pas en commettant les plus grandes
imprudences, il possédait toutes les qualités requises pour
devenir l'un des 'grands as' de cette guerre'' .
Le Second
Lieutnant Charles L. MOORE débarqua en Écosse par bateau en Décembre 1943. Il fut immédiatement affecté
pour quelques semaines à une base d'entraînement à Grimsby
(Angleterre). Ici, il vola peu, mais reçut une instruction
théorique sur l'identification des appareils, les us et
coutumes européens, la Grande-Bretagne, la France, ainsi que de nombreux briefings de l'Intelligence Officer sur les ''Procédures d'évasion''. Il ne s'agissait pas de
couvrir tous les aspects d'une possible évasion, ce qui aurait
été impossible, mais d'apprendre aux pilotes à réagir de façon
circonspecte s'ils venaient à devoir s'éjecter en territoire
hostile.
Fin Février 1944, il fut affecté au 343e Fighter Group, 380e
Squadron. Le pilote de monomoteur était devenu pilote
de chasse opérationnel, et, plus que jamais, conservait en mémoire
les paroles de ses instructeurs car, à peine arrivé au
Squadron ''je me suis mis à exécuter des manœuvres qu'aucun
pilote chevronné et réfléchi n'aurait jamais exécutées''
Son pilotage jugé par trop téméraire ne tarde pas à lui
valoir trente jours de maintien au sol.
Cloué
au sol durant cette période, il fut chargé de la
''logistique'' du Mess des officiers. C'est donc lui qui attribuait
à ses camarades les rations d'oranges, d'œufs, mais
surtout de Johnny Walker. Charlie se souvient de cette période
comme d'un travail des plus agréables de sa carrière dans l'US
Air Force. Il est certes frustrant pour un pilote d'être
interdit de vol, mais ce travail était
une
bonne consolation, à une époque où oranges, oeufs et whisky
étaient loin d'être au menu journalier.
Puis Charlie effectua ses premières missions de guerre,
des missions de ''Dive-Bombing'' (bombardement en piqué
d'objectifs stratégiques) vers l'Allemagne. Charlie eut
l'occasion de redouter la densité de la Flak, mais ne
rencontra aucun chasseur ennemi durant ses 5 premières missions. Trois autres missions furent rappelées
à cause du mauvais
temps. Au cours de l'une d'elles, 11 Mustang sur 48 ne rentrèrent
pas à Staplehurst, probablement à cause du gel des gouvernes et
des bords d'attaque qui rendait les appareils incontrôlables .
Enfin, en ce 30 Avril 1944, la neuvième mission pour
Charlie fut
l'escorte d'un Box de B24 sur Lyon. Chasseurs et bombardiers se
retrouvèrent à 9h44, à 18000 pieds à la verticale de Sancerre.
La mission de bombardement sur cet important nœud ferroviaire
obtint pour les observateurs qu'étaient les chasseurs d'escorte
''d'excellent
résultats'' et
les appareils prirent le chemin du retour. Toutefois, ils
furent rapidement interceptés par les chasseurs de la 5/JG2
"Richtoffen"
basés à Creil et qui s'étaient portés à leur rencontre. Une
dizaine de Messerschmitt Bf 109 attaquèrent de front les
bombardiers au-dessus de Montargis.
Tout se passa alors très vite. Le 380 Squadron
flanquait les bombardiers sur leur droite, légèrement en
hauteur, en parfaite position d'intervention, mais ses pilotes
ne remarquèrent les chasseurs allemands que lorsqu' ils ouvrirent
le feu, aux flammes des départs. Après leur passe, les Bf 109 effectuèrent un renversement pour se remettre en position
d'attaque.
Donnons la parole à Charlie :
''De mémoire, nous avons tous été surpris
par ces
lueurs de départs qui venaient d'on ne sait où. J'ai choisi un
avion au centre de la formation et le suivis au sol. Le
pilote allemand n'était pas un novice et faisait littéralement
corps avec sa machine. Il savait que j'étais derrière lui
avant même que j'aie tiré. Après mon tir, il s'est mis
à virer d'une aile sur l'autre, effectuant
des manœuvres inversées en espérant, je pense, que je
ferais de même et m'écraserais.
Quand il eut compris que je n'entrais pas dans son jeu,
il fit une manœuvre qui me stupéfia: Réduisant sa vitesse,
il sortit en même temps les volets et le train d'atterrissage,
espérant que je le dépasse et que de chasseur, je devienne la
proie. Sa manœuvre aurait pût réussir, mais, Dieu merci,
j'étais suffisamment loin derrière lui pour empêcher sa
tactique de fonctionner. En effet, dès que je vis de la fumée
sortir de ses échappements, j'avais compris qu'il allait
tenter de me faire passer devant, et j'ai manœuvré pour
rester derrière lui en volant d'un bord sur l'autre. Je crois
que, dans ce jeu
du chat et de la souris, c'est ce qui m'a sauvé la vie. Quand
le pilote allemand a réalisé que je ne le dépasserais pas, il accéléra brusquement, rentra
les flaps et le train, mais une seule jambe remonta.
Apparemment, la jambe gauche avait
été endommagée lorsqu'il
avait été descendu à relativement grande vitesse ou bien une
de mes balles avait endommagé les circuits. Le jeu du chat et
de la souris venait de connaître son épilogue: le pilote
allemand
effectua
alors un virage à gauche et s'éjecta à un millier de pieds
d'altitude.
Je l'ai suivi dans sa chute et pris des photos avec ma
camera d'aile. Le pilote allemand, sous son parachute, a fait
quelque chose dont je me souviendrai toute ma vie, un geste de
grande sportivité et d'honneur: Il s'est tourné vers moi, a
agité les bras et m'a fait le salut militaire. J'ai donc pris
la direction de l'Angleterre en rasant les arbres, en essayant
d'économiser le carburant qui me restait, car la route du
retour était longue''.
La
5/JG2 perdit 4 appareils dans cet engagement, 2 Fw
190 et 2 Bf 109. Seuls les pilotes de ces deux derniers
parvinrent à s'éjecter aux environs de Montargis: Le
Lieutenant Lackner
commandant la 5/JG2 et son ailier, le sous-officier Kolmanisch, tous deux récipiendaires
de la Croix de Fer. Le Lieutenant Lackner, de retour dans son unité , confia
à ses camarades (témoignage
du Lieutenant Müngersdorff
recueilli par l'auteur en 1999, qui confirme l'épisode du
salut) le
soulagement qu'il avait éprouvé après avoir vu l'avion qui
venait de l'abattre se diriger vers lui sans lui faire subir le
même sort. Lackner
fut tué en combat aérien près de Beauvais le 18 Mai 1944. Le
second Bf 109, celui de Kolmanisch, fut attribué au 2d Lieutnant McEchron, l'équipier de Charlie.
Le dogfight avait éloigné le Mustang de sa formation.
Désormais il devait rentrer seul. Vers 11h30, après une
demi-heure de vol, alors que notre pilote croyait s'approcher
du Cotentin, un
petit groupe d'avions, peut-être des chasseurs, attira son
attention vers l'ouest. Ils volaient dans la même direction,
mais à une altitude bien supérieure. Préoccupé par ces
avions qu'il essayait de ne pas perdre de vue, Charlie,
regardant à nouveau devant lui, se vit soudain très proche
d'une ligne à haute tension vers laquelle il se dirigeait...
''Si
j'avais repris un peu d'altitude aussitôt après avoir aperçu
ces pylônes et ces câbles, il n'y aurait pas eu de suite à cette
mission, mais, les avions occupant toute mon attention, ,j'ai
attendu une ou deux secondes de trop. Il était maintenant trop
tard pour les éviter. J'ai dû prendre une décision en un éclair: passer SUR ou SOUS ces câbles''.
Dans un réflexe qui lui sauva peut être la vie,
Charlie choisit de passer sous la ligne. Mais, lors de sa
ressource, il ne put éviter que la prise d'air ventrale du
radiateur ne heurte la cime d'un arbre.
Radiateur endommagé par les branches (lors de la fouille
de l'épave, nous avons retrouvé le radiateur qui conservait
un morceau de la branche qui l'avait crevé), le PACKARD 'MERLIN'
ne tarda pas à monter en température de façon inquiétante. A
mesure que l'aiguille dépassait la limite, une fumée blanche, accompagnée des relents de la surchauffe, commença
à envahir l'habitacle. L'avion continuait son chemin, car le
moteur conservait toute sa puissance, mais la fumée s'épaississait
rapidement, au point de ne plus voir les instruments du tableau
de bord. Comprenant que le Mustang prenait feu et ne rentrerait
pas en Angleterre, Charlie, désespéré, monta à mille pieds, renversa le Mustang et s'éjecta.
Au tableau de service de Staplehurst, le Second Leutnant
C.L MOORE fut ''reported missing in action'' .
Il était aux environs de midi
à ECOUCHE (Orne), heure
de la sortie de la messe. Nombreux étaient les Ecubéns et les
habitants des environs massés sur le parvis de l'église et qui
se souviennent. Marie-louise
Cavallo-Chambelland, historienne d'Écouché, raconte :
''
Nous avons entendu la DCA et tous gardé le souvenir de cet
avion désemparé qui nous survolait si bas, suivi d'un immense
panache de fumée blanche, nous avons aussi entendu le bruit énorme
de chute de l'avion. Nous nous sommes précipités vers le pont
de l'Orne tout proche et avons vu le parachute s'ouvrir avec
soulagement. Mais l'effervescence de la garnison allemande, les départs de véhicules
chargés d'hommes qui nous frôlaient sur le pont en se mettant
en chasse nous ont fait avoir une pensée émue pour l'infortuné
pilote et avons tous souhaité, sans grand espoir, qu'il
puisse leur échapper. Nous vîmes l'avion s'écraser vers
l'Ouest''. L'avion
s'écrasa à BATILLY, au lieudit ''Les Canards''.
Pendant sa descente, Charlie put lui aussi voir son
avion s'écraser. Anticipant sa réception
il
tentait de se rappeler les briefings de l'Intelligence Officer
sur les procédures d'évasion. En fait, ses connaissances se
limitaient au fait qu'à Abbeville était basé un group de
chasse que les pilotes américains appelaient les "Abbeville
Guys", qu'ils respectaient et redoutaient. Rien sur la
France, la
Normandie et leurs habitants. Charlie réalisait qu'il venait
de sauter dans l'inconnu.
Atterrissant
près de la rive droite de l'Orne, Charlie, à peine remis de ses émotions, est rejoint par les frères Jacques
et Michel Roger, en
partie de pêche en aval du "Moulin de Serans". Jacques Roger entraîne notre Américain en amont des berges,
recherchant un passage pour franchir l'Orne, pendant que Michel fait diversion et entraîne les Allemands vers l'aval. Il
faut quitter les lieux au plus vite car les recherches
s'intensifient et les patrouilles les serrent de près.
Sur l'autre rive, Bernard Peschet et son fils Francis, qui ont vu l'avion s'écraser
à quelques centaines de mètres
de leur ferme de "la Misaudiere" à SEVRAI et vu descendre le
parachute, s'approchent de la rivière qu'ils connaissent bien
car elle longe les prés de la ferme, à quelque 500 mètres de
là. Ils aperçoivent Jacques
et Charlie et leur
indiquent un gué que ceux-ci peuvent franchir. Il était temps, les
Allemands n'étant qu'à une centaine de mètres.
Chose
incroyable, les Allemands cantonnent leurs recherches à la rive
droite de l'Orne et au point de chute de l'avion. Le hameau de
'la Misaudiere' n'est pas inquiété.
Bernard et Francis Peschet amènent Jacques Roger et
Charlie à la ferme, lui donnent des vêtements civils. Francis
enterre le blouson de pilote qui lui fait pourtant une envie
folle, ainsi que le pistolet.45 de Charlie. Mais Charlie ne peut s'arrêter. Les recherches
allemandes s'intensifient. En cette fin d'Avril, la 77e
Infanterie Division (LXXIV Korps) a son P.C à PUTANGES, à 8 kilomètres
et les cantonnements couvrent tout le secteur. Les Allemands, qui ont tiré sur ce chasseur en difficulté et bien
vu toute la scène lancent leurs patrouilles pour retrouver le
pilote. Comme déjà indiqué, leurs recherches se
cantonneront à la rive droite de l'Orne. Ils ne connaissaient
pas le gué du Moulin et sont peut être persuadés que le
pilote n'a pu franchir la rivière.
Il faut alors confier au plus vite le pilote
à la Résistance
et aux filières d'évasion. Jacques Roger et Félix
Terrier, tous deux membres du réseau du B.O.A dirigé par
Monsieur Verrier de
RANES, décident d'amener Charlie chez celui-ci. Mais il faut
d'abord le prévenir et, pour l'heure, Charlie doit quitter
les lieux au plus tôt. Bernard Peschet donne son vélo à Charlie et Félix Terrier l'amènera chez deux femmes de SAINT
BRICE SOUS RANES ou il séjournera deux
jours (Il ne nous a pas été possible de retrouver ces
dames). Quittant la Misaudiere, ils rencontrent une carriole
revenant d'Écouché.
Dans la carriole, la petite Lucienne
Peschet (Mme Chombart) ne se souvient plus du gaillard qui pédalait, mais n'a pas oublié qu'il montait la belle bicyclette de son
père !! . Charlie passa ensuite quelques jours caché chez
Monsieur et Madame Pottier.
Début Mai,
Charlie est transféré chez Verrier à RANES. Le magasin de confection est rapidement transformé pour
servir de cache à notre aviateur, mais il ne possède aucune
issue de secours en cas de perquisition. Mr Verrier veut éviter
les risques inutiles. Il se sait soupçonné et Charlie est
convoyé chez Guillouard
à SAINT MARTIN L'AIGUILLON où il restera une semaine. Il rejoint
là Monsieur Bachelier, membre lui aussi du B.O.A et recherché par la Gestapo. Mais
Charlie ne peut rester là longtemps. Il faut lui trouver un
autre asile.
Thérèse Bourguignon, employée chez Verrier suggère alors d'abriter Charlie
à la ferme familiale, lieudit "Les Chasnières", commune de
MARCEI. Madame veuve Eugénie
Bourguignon, qui a élevé seule sa famille, avec
l'accord de ses autres enfants Pierre, Alfred, Roger, Suzanne
et
Gaston accepte d'héberger Charlie, qui est transféré à MARCEI
dans une Traction conduite par Madame Bachelier, de JOUE-DU-PLAIN. Une autre voiture, conduite par Jules Christophe, lui aussi de JOUE DU PLAIN les précède pour éviter les
patrouilles. Il semble que la voiture ait subi un
contrôle allemand, mais que la sentinelle n'ait vérifié que
les papiers du véhicule et de la conductrice.
Le surlendemain du transfert, la sinistre
"bande à Jardin",
les agents français de la Gestapo pour l'Orne effectua une
perquisition ''vigoureuse'' 'au magasin Verrier. Fort
heureusement, elle fut infructueuse. Jardin et sa bande arrêtèrent
Jacques et Michel Roger qui furent déportés à NEUENGAMME.
Seul Michel revint.
Charlie MOORE était arrivé à MARCEI le 21 Mai. Là bas
se cachait déjà Alfred Bourguignon, le deuxième fils de la
famille, qui était requis au STO au titre de l'année 1943
mais qui, pas désireux du tout d'aller en Allemagne, avait eu
l'idée géniale de faire emmener par un camarade requis lui
aussi une lettre pour sa mère qui serait postée à LUDENSCHEID
et qui ''attesterait'' sa présence là-bas !! Le stratagème
avait marché, mais Alfred était contraint de se cacher,
comme tous les réfractaires. La lettre servit bien lorsque les
gendarmes français vinrent
trouver Eugénie Bourguignon et demandèrent pourquoi Alfred
n'apparaissait pas sur leurs listes. La lettre les convainquit
que le fils de la maison se trouvait bien en Allemagne !!!.
Alfred se cacha et travailla dans différentes fermes.
Il revint aux Chasnieres pour se cacher avec Charlie dans une
meule de fagots dans laquelle une cavité avait été aménagée
par Pierre aidé de ses frères. Charlie se souvient:''Notre
cache était étroite et basse. Il y régnait une chaleur épouvantable
et il n'y avait aucune aération, et je porte encore a la tête
les cicatrices laissées par les branches des fagots''.
La
guerre avait fait de Charlie et Alfred des fugitifs,
et les deux garçons, sensiblement du même age, devinrent de
grands amis. Ce fut aussi le cas pour tous les enfants de la
maisonnée.
La vies suivit son cours
à la ferme. Il y eut le Débarquement
et les grands mouvements de troupes. Les combats se firent plus
pressants à mesure que s'approchait la fin de la Bataille de
Normandie et la Libération. De temps à autre, des Allemands
venaient à la ferme quêter
de la nourriture, que l'on s'empressait de leur donner pour
qu'ils déguerpissent. Charlie se cachait alors n'importe où,
par exemple dans un coffre à grains. Il était tour à tour garçon
de ferme ou braconnier. Un jour qu'il revenait du bois voisin,
il vit venir vers lui deux Allemands. Il ne perdit pas son
sang-froid et leur dit un ''bonjour'' auquel ils répondirent de
même. Peut-être le seul mot français que tous les trois
connaissaient !!..
Une autre fois, deux
Allemands arrivèrent, sans que
les chiens aient aboyé. Charlie finissait son repas à la table
de la cuisine. Les Allemands ne prêtèrent aucune attention à ce commis qui les ignorait et s'entretinrent avec Eugénie des
provisions qu'ils demandaient. Charlie fit mine d'avoir
terminé son repas, se leva et sortit sans un mot !! Il ne
reprit son souffle que lorsqu'il se fut bien éloigné.
Charlie suivait d'un oeil expert, très amer en lui-même, les nombreux combats aériens qui se déroulaient au-dessus de
la plaine d'Argentan. Il souffrit durement le jour où il vit
deux P38 se faire descendre presque en même temps, sans que
les pilotes puissent s'éjecter. Mais les quatre avions
allemands qui les avaient abattus le furent à leur tour par les
Mustang, peut être ceux du groupe de Charlie.
MARCEI fut libérée le 12
Août 1944 par les chars de la
5th Armoured Division et la 90th
Infantry Division de la 3rd Army. Ce furent les
sergents WALKER et GEMLER de la 90th ID qui vinrent
le chercher à la ferme. De l'avis général, ''Il était temps
que ça finisse car cela se savait maintenant un peu trop''.
Après avoir ainsi été libéré, Charlie fut renvoyé
en Angleterre où il resta deux semaines. Auparavant, il revint
faire ses adieux aux Chasnieres, apportant à la famille
Bourguignon tout un tas de victuailles, cigarettes, etc. , dont
ils avaient perdu le goût
depuis longtemps. Il fut ensuite renvoyé aux États Unis,
où, en permission, il fut victime d'un grave accident de
voiture qui le tint longtemps à l'hôpital. A sa sortie, il reprit du service dans l'Air
Force et fut envoyé dans le théâtre
d'opérations
du Pacifique. Passé sur P47 THUNDERBOLT, il participa entre autres
à la bataille d'Okinawa en Juillet
1945.
|
Charlie
(à droite) en 1999 avec Francis Peschet devant la porte
de la maisonnette ou il s'était déshabillé pour revêtir
des vêtements civils fournis par la famille Peschet . |
Charlie
a quitté l'Air Force avec le grade de Commandant.
Âgé maintenant de près de 84 ans, il n'a rien perdu de la fougue de ses vingt ans et reste le
personnage attachant que tous ont tant apprécié. Il est
revenu à différentes reprises en Normandie et a pût retrouver
beaucoup des gens qui l'ont aidé, particulièrement toute la
famille Bourguignon (sauf Gaston, décédé en 1946). Son périple
fut refait avec l'émotion que l'on devine. Nous avons pu lui
montrer l'endroit ou son avion s'était écrasé, Francis Peschet l'a ramené au Gué du Moulin,
à la ferme de la
Misaudiere, au bâtiment ou il s'était déshabillé. J'ai pu
lui faire voir les
éléments de son avion, déterrés en 1996, retrouvés dans
un remarquable état de conservation. Le moteur PACKARD, monté
sur un socle de présentation par Serge Roger, frère cadet de Jacques et Michel est maintenant une pièce importante d'un projet de
musée des combats aériens de la bataille de Normandie, avec
le fameux radiateur, toujours affublé du morceau de branche
qui a tout provoqué.
Charlie a eu une réaction assez douloureuse pour lui en
revoyant les pièces de son avion. Cela lui a rappelé son
histoire et le souvenir amer d'un rêve brisé. Ses émotions
douloureuses ne tiennent pas tant à son séjour inattendu et
prolongé en Normandie, mais surtout à ce qu'il considère
avoir été une terrible erreur de jugement que d'être passé sous
la ligne et non pas au-dessus.
Charlie, plus de soixante ans après, ne peut s'empêcher
de penser qu'il a ce jour-là gâché sa vie en étant cloué à
terre alors que son pays aurait eu besoin de lui aux commandes
de son Mustang. Il est aussi conscient des risques énormes
qu'ont volontairement encourus tous ceux qui l'ont aidé. Il
les considère tous comme les membres de sa famille.
Beaucoup ont pu lui rendre visite à Las Vegas (Nevada) ou
il réside. Je l'y ai rencontré en 1996, 1998 et 2001. Il m'a raconté toute son histoire, que j'ai complétée sur
place et relate ici. Nous nous téléphonons souvent et je
compte aller le revoir bientôt.
Robert Chombart
Réécrit et complété
Aubry-en-Exmes
Janvier
2005
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Le
moteur V12 Packard "Merlin" du P51 de Charles
Lee Moore. le compresseur (à droite de l'image) est
toujours place. |
Le
radiateur du "Mustang". La branche qui avait
endommagé le radiateur était encore présente lors de
la découverte de l'épave. |
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